L'Université de Strasbourg trace ses ossements africains

15 juin 2024 à 6h30 - Modifié : 17 juin 2024 à 8h17 par Sébastien RUFFET

Université Strasbourg
Michel Van Praët et Tricia Close-Koenig en pleine étude des ossements
Crédit : © Tricia Close-Koenig / © Michel Van Praët

L'Université de Strasbourg a répondu à une demande de deux instituts de Namibie et de Tanzanie de réaliser un inventaire des ossements détenus dans ses collections. Des restes humains issus de collection allemande, à une époque où l'Alsace était annexée. C'est aussi un travail de mémoire autour de l'Institut d'anatomie normale de l'Université.

L'opération a nécessité plusieurs mois de recherches, de collectes d'informations et de plongée dans les archives de l'Institut d'anatomie normale de l'Université de Strasbourg, autrefois appelée Kaiser-Wilhelms-Universität, du temps de l'annexion allemande. La demande a émané d’une collectivité territoriale du Moshi District Council (République-Unie de Tanzanie) et de l’Ovambanderu and Ovaherero Genocide Foundation (Namibie), qui souhaitaient un inventaire précis des restes humains d'Afrique de l'Est détenus par l'Université de Strasbourg

L'équipe alsacienne y a répondu favorablement et a donc consulté de nombreux documents (catalogue principal édité au début du XXe siècle, sources biographiques des donateurs, publications en provenance de Tanzanie, conditionnement des restes humains, etc.) pour redonner une traçabilité à ces ossements

31 individus identifiés pour la Tanzanie, 2 pour la Namibie

Tout cela a permis d'identifier avec certitude deux dons réalisés au profit de la Kaiser-Wilhelms-Universität, lors de la période de protectorat de l'Allemagne sur la Tanzanie et la Namibie (à partir de 1884 et 1885). Dans un communiqué l'Unistra précise : "Les restes humains venant de l’actuelle Tanzanie, figurent dans le catalogue d’inventaire français comme ayant toutes été données à la Kaiser-Wilhelms-Universität par le Dr August Widenmann (1865-1949). August Widenmann est un médecin qui a fait ses études à Berlin et devient officier sanitaire de la « Schutztruppe fur Deutsch-Ostafrika. » Il est mentionné comme le donateur de 34 entrées dans le catalogue de la collection de l’Institut d’anatomie de Strasbourg."

Pour ce qui est de la Namibie, autre provenance : "Les restes humains venant de la Namibie figurant dans le catalogue de l’Institut d’anatomie de Strasbourg sont deux pièces données à la Kaiser-Wilhelms-Universität avant le génocide de 1904 -1908 par le Dr Carl Christian Sick (1856-1929), médecin à Hambourg, avec la descriptif « Herero : Afrique allemande du sudouest ». Après des études à Strasbourg de 1882 à 1885 et avoir occupé un poste d’assistant d’anatomie de 1883 à 1885, Carl Sick poursuit sa carrière à l’hôpital de Hambourg. Il a fait plusieurs dons à l’Institut d’anatomie de Strasbourg entre 1888 et 1909, dont 104 préparations craniologiques humaines, comportant 9 pièces d’origine africaine. Le catalogue mentionne deux pièces portant l’indication « Herero : Afrique allemande du sud-ouest » entrées en collection le 7 octobre 1903."

Ce que l'Université de Strasbourg a aussi tenu à souligner, c'est que tous ces restes ont été collectés avant les génocides du début du XXe siècle

Des discussions ont été établies avec la Tanzanie via l'ambassade de France pour développer une future collaboration culturelle. Pour l'heure, ces restes humains resteront à Strasbourg. Pour qu'ils soient rappatriés, il faudrait que les pays d'origine fassent une demande officielle à l'Etat français, ce qui n'a pas été fait à ce jour.

Deux crânes qui sortent du lot

Parmi les crânes inventoriés, les chercheurs ont pu identifier celui du chef de tribu M’Kunde de Kibanoto. Un crâne dépourvu de trace de terre, qui résulte de la préparation ostéologique de la tête décapitée de ce chef d’une tribu insoumise. L'autre crâne remarquable est celui d'une femme Massaï a priori collecté plus à l'ouest, dans des conditions imprécises. Il ne comporte pas de mandibule, contrairement à ce qui était mentionné dans les archives.