Louise Guillet, capitaine de l’équipe de France de water-polo : "Tous les matchs vont être des combats"

26 juin 2024 à 11h00 - Modifié : 27 juin 2024 à 14h48 par Jules Scheuer

Louise Guillet prendra sa retraite sportive à l'issue des JO.
Louise Guillet prendra sa retraite sportive à l'issue des JO.
Crédit : Instagram - Louise Guillet

À quelques semaines des Jeux olympiques, la rédaction de Top Music vous propose des portraits de sportifs alsaciens qui représenteront la France à Paris. Aujourd'hui, découvrez Louise Guillet, capitaine de l’équipe de France féminine de water-polo, première française de sa discipline à avoir été professionnelle en France et pensionnaire du club du Mulhouse Water Polo.

Top Music : Bonjour Louise. Première question, comment est née chez vous l’envie de faire du water-polo ?

Louise Guillet : C’est venu comme ça, par hasard. Un jour, un entraîneur que je connaissais m’a dit de venir à la piscine. Je me suis dit  : « oui, pourquoi pas ? ». Et on m’y a emmené. Ça s'est fait comme ça, au fur à mesure. Il venait me chercher tous les soirs et il m'a fait découvrir ce sport en me mettant un ballon dans la main. Et après, j’y ai pris goût. Au début, je voulais aussi continuer mon basket et mon tennis à côté. Mais ce n’était pas possible de tout faire. Donc, j'ai continué le water-polo et je ne me suis plus arrêtée.

Top Music : Dans quel coin de France avez-vous commencé votre carrière ?

Louise Guillet : Je suis née à Limoges mais mes parents se sont séparés et donc, à trois ans, je suis partie à Bordeaux et j’y ai fait toutes mes formations jusqu'à l'âge de 18 ans. Déjà à 16 ans, j'avais eu mes premiers contacts pour partir jouer à l’étranger, mais mes parents m'avaient dit non. J'étais trop jeune, c’était hors de question pour eux. Finalement, je suis partie à 19 ans et j’ai joué en Espagne, en Grèce et en Italie. Je suis aussi devenue la première athlète française à avoir joué professionnellement pendant sept ans à l'étranger. 

Top Music : Le water-polo est une sport un peu méconnu du grand public en France. Par exemple, on ne se doute pas de la dimension très physique de ce sport.

Louise Guillet : La première fois que ma mère a vu un un match, elle s'est dit : « mais c'est quoi ce sport ? ». Quand les gens viennent pour la première fois, ils se rendent compte que c'est vraiment physique. Ce n'est pas violent, mais c'est physique. Dans le bassin, on n’a pas pied, on fait des allers-retours, et la particularité, c'est qu'on joue à la fois de manière horizontale, pour nager, et verticale, pour jouer et faire des passes. Le water-polo est un des sports les plus physique et il demande beaucoup d’énergie (le water-polo est le 2e sport collectif à bruler le plus de calories d’après un article du journal L’Équipe / NDLR).

Top Music : Ce manque de connaissance est surtout lié au manque de visibilité de votre discipline. Pour voir du water-polo, il faut se déplacer dans les piscines. 

Louise Guillet : Pourquoi on voit peu de water-polo féminin ? C’est parce que les garçons sont professionnels et les filles ne le sont pas. Donc ça attire déjà moins les médias. Mais depuis 2016, quand les garçons se sont qualifiés aux JO, on a eu un peu plus de visibilité. Et depuis ils ont fait des bons résultats et de notre côté aussi - aux championnats d'Europe en 2023 on a fini à la sixième place, c’était historique - on commence à avoir de la visibilité. 

 Le water-polo est un des sports les plus physiques

Par exemple, lorsqu'on a fait le test-event du 6 mai à Paris au Centre Aquatique Olympique, il y avait plus de 2 800 personnes dans les tribunes, les TV qui étaient présentes. C'était extraordinaire. Même si on n'a pas gagné le match, parce qu'on jouait contre les triples championnes olympique américaines, on a fait un super match (Match perdu 6 - 12 NDLR). C'est en faisant des matchs comme ceux-là, en France, sur notre sol, qu'on va réussir à attirer l'attention du public et des médias. Et c'est ce qu'on a réussi à faire un peu le 6 mai.

Top Music : Parce que les JO ça va aussi être une belle occasion de mettre ce sport en-avant.

Louise Guillet : Carrément ! Le 6 mai, avec les 2 800 personnes en tribunes, on n'avait jamais vu autant de public en France. Je sais qu’aux JO, il y a déjà tout qui est plein. Le stade de 5 000 places est déjà complet. C'est déjà énorme pour voir du water-polo. Il faudra surfer sur cette vague, nous devrons répondre présentes par nos résultats, et après, emmener le public avec nous. 

Top Music : C'est la première fois de son histoire que l'Equipe de France féminine va disputer les JO. Comment vous expliquez cette grande première ? Est-ce qu'on a un certain retard sur le water-polo féminin en France par rapport à d’autres pays ?

Louise Guillet : Ce n'est pas la même chose, pas la même culture. Quand vous allez à l’étranger, chez les filles, il y a déjà 100 gamines qui sont là. En France, dans nos clubs en U11 (catégorie des moins de 11 ans NDLR), on a trois filles. Notre pyramide, à la base, elle n'est pas pareil que dans les autres pays. Ça nous pénalise et plus on monte, moins on a de filles. C'est compliqué. Après, il y a aussi la question du statut professionnel qui n’existe pas en France chez les femmes. C'est un handicap pour tout le monde, parce qu'on peut certes s'entraîner deux fois par jour, mais ce ne sont pas les mêmes conditions que pour une athlète professionnelle. On en souffre, mais on essaye de trouver les moyens de s'en sortir.

Top Music : Ça va aussi être ça le message de ces JO ? De dire qu’il faut aussi apporter du financement, des moyens et des structures aux plus « petits » sports.

Louise Guillet : Oui, je pense que tous les sports mineurs ont envie de se montrer lors de ces JO, parce que c'est une vitrine. N'importe quel sport mineur qui fera une médaille, sera tranquille après, du moins je l’espère, pour les années futures. Que ce soit au niveau des licenciés, des aides pour les fédérations, pour les clubs et pour les joueuses. Donc, c'est super important. Plus on fera de résultats, plus on attirera du monde. Après, il faudra structurer les clubs aussi, mais ça c'est aussi difficile et  c'est un autre problème.

Dans nos clubs en U11, on a trois filles

Top Music : Pour parler plus en détail de votre carrière maintenant, vous avez fait vos débuts avec l'équipe de France en 2003.

Louise Guillet : Oui, c’était pour mes premiers championnats du monde en sénior. J'étais jeune, je me rappelle, j'étais toute petite. C'était impressionnant. Je jouais, avec des filles qui étaient beaucoup plus âgés que moi, qui avaient plus de vécu. Moi, ça faisait quatre ou cinq ans, que je faisais du water-polo et je débarquais déjà en équipe de France sénior. C'était un rêve ! Je ne pensais jamais réussir à aller en équipe nationale. Je me rappelle, en 2003, il y avait ma mère dans les gradins. Ma sœur et  moi, on ne comprenait pas ce qui nous arrivait, parce que c'était tout neuf, tout frais. J'en avais pris plein les yeux.

Top Music : Près de 21 ans plus tard, vous êtes désormais capitaine de cette équipe de France. Quelles valeurs avez-vous envie de transmettre aux jeunes joueuses qui arrivent dans la discipline ?

Louise Guillet : À l’heure actuelle, notre équipe est jeune. Donc, j'essaie de transmettre ma passion, mon sens du travail. J’essaie de leur transmettre que c'est à force de travail qu'on arrive à obtenir un résultat, à force de beaucoup de discipline, beaucoup de rigueur. Il ne faut pas compter les heures. Si je peux les aider sur n'importe quoi, je les aide, et c'est important, avec mon vécu, d'être là pour elles au quotidien.

Top Music : Revenons sur les Jeux Olympiques. Une médaille à Paris, c’est un objectif pour vous ?

Louise Guillet : Oui c'est un objectif qu'on se fixe. On ne se le dit pas tous les jours, parce que ça nous met beaucoup de pression quand même. On est plus dans l'objectif d’avancer match par match. Mais oui, faire une médaille, on a toutes envie de ça. On a fait un super match contre les États-Unis le 6 mai et je pense que personne ne nous attendait à ce niveau. Avec cette équipe, il nous manque juste une référence mondiale, un déclic, et je pense qu'on est en train de l’avoir. On peut être la petite surprise de ces JO.

Top Music : Qu'est-ce que vous évoquent les jeux olympiques ?

Louise Guillet : Je regarde les JO depuis toute petite à la télé. Même pendant les jeux à Pékin, je les regardais la nuit et je dormais la journée. Disputer les jeux, c’est un rêve que j’ai depuis toute petite. Je pensais que ça ne m’arriverais jamais. 

On peut être la petite surprise de ces JO

Top Music : Le niveau de votre poule est assez relevé. Il y a les américaines, triples championnes olympique en titre et les espagnoles qui sont championnes d’Europe. En tant que sportive, c’est stimulant d’affronter les meilleures ?

Louise Guillet : Bien sûr. De toute façon, si on veut faire une médaille ou un quart-de-finale, il faut gagner des matchs et qu'on soit dans une poule ou dans l'autre ce serait la même chose. Toutes les équipes vont être à fond. Malheureusement, il n’y aura pas de petites équipes. On est aux Jeux olympique. Il y a dix équipes qui sont extraordinaires. Donc, tous les matchs vont être des combats. 

Mais on progresse énormément et je pense que les équipes commencent à avoir peur de nous. On va être devant notre public et surtout on aura que de la pression positive. On va faire ces JO sans pression, parce que personne ne nous attend en quart de finale, qui est notre objectif. On n'aura pas la pression de ces grandes nations qui doivent faire des résultats.

Top Music : Tout au long de votre carrière, vous avez appartenu à plusieurs clubs en Europe. Comment avez-vous réussi à vous y imposer ?

Louise Guillet : Quand je suis partie de France à 19 ans, je suis arrivée en Espagne. Lors du premier entraînement, on m'a dit : « t'es qui toi ? ». J'étais la française qui débarquait de nul part et qui voulait prendre la place d'une espagnole. Et à l'époque la France ce n'était rien, on ne connaissait même pas les joueuses. Il a fallu que je me fasse ma place dès les premiers entraînements et à force de travail et de volonté, j'ai réussi à prendre ma place et à me faire un nom. J'ai finis meilleure joueuse et meilleure buteuse de mes premières finales et aussi du championnat suivant l'année d’après. C'était des émotions énormes. Après, je suis partie. Pourquoi? Pour me challenger encore. Parce que j'avais besoin de découvrir un autre niveau, un autre pays. C'est ce que j'ai fait en partant en Grèce, puis en Italie. 

Au premier entraînement,  on m'a dit : « t'es qui toi ? »

Je n’avais qu’un but en tant que joueuse : aller jouer en Italie parce que c'était le meilleur championnat du monde, à l’époque. J’ai réalisé ce rêve et j’ai joué deux ans là-bas. C'était une tout autre culture. Tous les joueurs sont professionnels et tout le monde parle water-polo. On vous reconnaît  même dans la rue. C'était des moments incroyables et c'est ce que j’ai essayé de transmettre en revenant en France.

Top Music : Justement, de retour en France, vous apportez votre expertise du monde professionnel et vous devenez la première joueuse de water-polo à obtenir un contrat professionnel en France.

Louise Guillet : J'avais déjà 28 ans et je commençais à avoir un peu le mal du pays, l’envie de retrouver ma famille, parce que quand on est professionnelle, à ce rythme là, on n'a pas de vacances. Donc je suis revenue à Lille, où je suis devenue la première joueuse pro en France. Malheureusement, ça n'a pas suivi pour tout le monde. Ça a duré deux ans et après, il n'y a aucune française qui est aussi devenue professionnelle. C'est dommage, parce qu’on mériterait ça. 

Après mes deux ans à Lille, je suis retournée à Bordeaux, parce que mon club d'origine m’a proposé de venir entraîner, et c'est ce que j'ai fait. Depuis 2022, je suis maintenant à Mulhouse. Le club a essayé d’aider les joueuses. On n'est pas devenues professionnelles, mais c’est comme si on l’était professionnel, et c’est l'avantage de Mulhouse. J'espère que le président pourra continuer comme ça dans le futur.

Top Music : Cette aventure à Mulhouse que vous avez démarré en 2022, ce sera votre dernière aventure professionnelle.

Louise Guillet : Oui c'est ma dernière aventure. Quand le club m'a appelé, il y a deux ans, le président Ludovic Bavière, m'a présenté son projet et j’y ai cru direct. J'ai aussi voulu aider à structurer le club, à le faire évoluer. C'est le seul club qui était prêt à payer des françaises et les aider pour les JO. Cette aventure à Mulhouse m’aura aussi permis de découvrir l'Alsace et toute la région. Mais je suis bien dans mon sud, près de ma plage, pour pouvoir aller surfer quand j’en ai envie. Et effectivement après les JO, j'arrêterai ma carrière.

Je vais prendre la tête d'une entreprise de BTP de vingt salariés

Top Music : Et donc après les jeux, c'est fini le water-polo. Vous préparez même déjà votre reconversion.

Louise Guillet : Oui, parce qu'on n'est pas professionnelles. Donc, il faut bien se nourrir et travailler. Aujourd’hui, c’est mon père qui tient l’entreprise familiale qui se situe à Limoges. On en est la dixième génération et je vais l'intégrer en septembre 2024 pour progressivement prendre la place de mon père.

Top Music : C'est une toute nouvelle aventure dans laquelle vous vous lancez.

Louise Guillet : Oui, c'est une aventure folle, ça, c'est sûr. Parce que je suis une femme qui va prendre la tête d'une entreprise de BTP de vingt salariés, un monde qui est quand même très masculin. On va me mettre au challenge. Mais ce sera comme dans ma vie d’athlète de haut niveau. Ça a toujours été des challenges, des décisions fortes, que j'ai prises. Je ne me voyais pas faire, un métier dans lequel je suis enfermée dans un bureau, je me voyais pas faire ça. Reprendre l'entreprise c'est un sacré challenge et c'est ça qui m'anime aussi. Je suis confiante sur la fin de ma carrière.